Dr. Holi Rajery - Linkedin
Cette question ressemble beaucoup à un sujet de philosophie. Elle peut même à bien des égards s’apparenter à une de ces questions existentielles sur lesquelles on peut débattre à l’infini. Il s’agit pourtant d’une interrogation ancrée dans notre réel, car rappelons-le, la mort fait partie de notre quotidien. Si on est atteint d’une affection de longue durée ou si l’un de nos proches l’est, il est certain qu’elle nous a certainement effleuré. Souffre-t-on quand on meurt ?
Si on fait attention aux mots, on dira que non, la mort en tant que passage de vie à trépas n’est pas en elle-même douloureuse. En revanche, les instants qui la précèdent peuvent tout à fait l’être. Une maladie, un accident peuvent être source de souffrance pour un individu à l’agonie. Heureusement, cette souffrance, si elle est inévitable, peut être fortement atténuée. L’évaluation et la gestion de la douleur se trouve être l’un des enjeux pour l’assistance des proches durant la phase palliative.
Qu’elle soit chronique, c’est à dire quasi permanente ou aiguë, plurifocale ou uni focale, la douleur est vécue de façon subjective par chaque individu. Il s’agit d’une thèse défendue depuis des années par Guy Simonnet, neurobiologiste et professeur émérite à l’Université de Bordeaux. De là à penser que la fin de vie est également vécue de façon purement subjective, il n’y a qu’un pas que nous pouvons franchir sans trop prendre de risque. Évoquer la question de la douleur en fin de vie conduit obligatoirement à questionner le concept d’agonie.
D’un point de vue étymologique le mot agonie est, selon le Dictionnaire de l’Académie Française, emprunté au latin chrétien agonia qui signifie angoisse de la mort et au mot grec agônia qui signifie lutte. Agoniser serait donc lutter contre la mort et ce qu’elle peut générer comme angoisse.
L’état d’agonie se caractérise par un dysfonctionnement parfois généralisé, toujours irréversible des fonctions vitales. Il ne va que rarement au-delà des 72 heures. Il faut néanmoins noter qu’il n’est pas immédiat et sauf dans des cas exceptionnels, il est précédé d’un état dit pré-agonique dont la durée est bien plus longue et qui s’avère être réversible.
Au-delà de la douleur directement liée à la gravité des lésions physiques ou encore aux dysfonctionnements des organes vitaux, l’agonie est également une épreuve d’un point de vue émotionnel. Il est de ce fait normal d’éprouver ce sentiment d’impuissance face à ce qui apparaît comme une issue fatale. Mettre des mots sur la souffrance, accompagner les proches et les préparer au départ de leur être cher est au moins aussi important que ajuster le traitement palliatif du patient en fin de vie.
Bien loin de la perception simpliste qui voudrait la réduire à un état de glissement vers la mort, l’agonie est un état bien plus complexe et difficile à reconnaître. Les signes sont multiples (généraux, neurologiques, respiratoires, cardio-vasculaires). Par ailleurs, il convient de rappeler que ce diagnostic ne peut être établi que si les symptômes sont interprétés en tenant compte d’autres paramètres tels que les comorbidités existantes. C’est donc encore et toujours une question d’appréciation. Ces symptômes analysés de manière peu pertinente ne suffiraient pas pour conclure à une mort imminente. A contrario, pris dans leur globalité, ils apportent un éclairage sur l’état du patient et sur ses chances de survie.
L’agonie se subdivise en deux phases :
L’aggravation des différents symptômes va entraîner le passage de la pré-agonie à l’agonie. C’est à ce moment qu’on parle de mort. Le patient est désormais dans le coma et n’est plus maître de ses mouvements, sa respiration devient saccadée, avec des pauses qui s’allongent.
La pré-agonie et l’agonie sont elles- même les étapes 1 et 2 de la phase terminale. Les deux dernières étant la mort cérébrale et la mort.
Il s’agit de l’autre enjeu majeur de la prise en charge des patients en fin de vie, dans la mesure où il n’est pas uniquement question de la souffrance d’un patient, mais bien du patient lui-même et de ceux qui constituent son entourage plus ou moins proche.
Dès l’annonce de la maladie, de son caractère incurable et inexorablement létal, le patient est confronté à une réalité d’une grande violence. La mort, qui lui apparaissait comme lointaine, frappe soudain à sa porte. Dans le cas d’espèce on pourrait presque parler d’un viol de son intimité, de son intégrité, car elle ne lui laisse pas le choix : elle entre et s’installe.
Cette effraction va créer et renforcer un sentiment d’impuissance qui sera ressenti autant par le patient que par ses proches. Pour utiliser la formule du psychologue spécialisé dans les unités de soins palliatifs, Benoit Maillard, le patient va devoir faire le deuil de soi-même. De même que son état physique se dégrade, il va peu à peu se détacher comme si avec la perte progressive de ses fonctions vitales et ce corps qui en quelque sorte le trahit, l’éloigne de plus en plus du monde environnant.
La psychiatre et psychologue Elisabeth Kubler Ross, pionnière dans la prise en charge des patients en phase terminale, a ainsi identifié les 5 étapes qui caractérisent ce retrait : le déni, la colère, le marchandage, la dépression et l’acceptation.
La complexité de l’accompagnement des patients condamnés résulte également de l’état de confusion mentale dans lequel ils se trouvent très souvent. Ils sont alors angoissés et particulièrement agités, parfois jusqu’au délire. Il faut rappeler que la maladie, lorsqu’elle s’installe, porte certes atteinte au corps, mais également à l’identité de celui qui possède le corps ou tout au moins à la perception qu’il en a. La question se pose ainsi logiquement : l’angoisse et l’anxiété éprouvées par les patients en fin de vie ne naissent-elles pas de cette impression de ne plus se reconnaître, ne plus savoir qui on est, au-delà de la peur de mourir ?
La mort est un sujet récurrent dans toutes les religions, qui entretiennent chacune une relation avec le corps du défunt. En fonction des croyances, elle est le passage d’une dimension à une autre, elle est la porte d’entrée vers le Paradis, l’Enfer ou le Purgatoire ou encore une phase de transition durant laquelle l’âme se réincarne dans un autre corps. L’un des points communs entre toutes ces perceptions est sans aucun doute l’idée que c’est le moment durant lequel l’humain doit rendre des comptes, ce qui peut contribuer à apaiser ou à renforcer une angoisse déjà existante.
Pour les personnes non croyantes, c’est l’ultime ou plutôt l’unique véritable rendez-vous avec soi-même. Il devient alors difficile d’ignorer les interrogations existentielles qu’on avaient peut-être pris l’habitude de reléguer loin voire très loin, car jugées trop métaphysiques. Quelle est l’étape d’après ? Où vais-je me retrouver ? Que deviendra mon âme ?
Brutalement confrontés à leur finitude, certains patients se font accompagner par un aumônier. Une réaction qui n’est pas sans rappeler qu’à une certaine époque, le prêtre ou le pasteur étaient jugés seuls aptes à discuter des questions liées à l’âme et à son salut. Les progrès scientifiques et techniques ont non seulement contribué à augmenter l’espérance de vie, mais ont paradoxalement contribué à éloigner l’Homme des questions spirituelles.
Autrefois vécue comme la grande transition, comme une sorte d’accomplissement, elle est aujourd’hui d’abord perçue comme un échec de la science. La mort vient en effet rappeler à l’Homme ses limites, notamment celles de son savoir sur le corps.
Dans le contexte actuel, le patient est invité à évoquer ses ressentis et ses affects. On attend de lui qu’il mette des mots sur l’angoisse qui le ronge, sans pour autant lui ouvrir les voies de cette spiritualité dans laquelle il est susceptible de retrouver un semblant de paix et de sérénité.
Prières et autres sacrements religieux sont ainsi parfois demandés, dans l’espoir d’effectuer le passage de vie à trépas en douceur. Toutefois, il serait illusoire de penser que la réponse et même celle des Hommes de Dieu est toujours appropriée. En cela, le patient en soins palliatifs met tout le monde au défi, pas forcément de le soigner, mais bien celui de prononcer le mot qui fait peur, d’annoncer à une personne en phase terminale qu’elle va bientôt mourir, d’avoir le courage d’en discuter avec lui, de lui offrir comme un cadeau ultime les réponses aux questions qui ne cessent de le tarauder.
Par opposition à la mort dite violente, la réponse immédiate est oui. Ces dernières années, de nombreux praticiens hospitaliers ont fait l’objet de poursuites pour avoir pratiqué l’euthanasie. La question de l’acharnement thérapeutique et le droit de refus est encore et toujours au cœur des débats avec en filigrane le concept de mort douce, c’est-à-dire une mort qui surviendrait sans douleur, sans souffrance.
Cette tendance est accentuée par les médias qui ont contribué à exacerber les sensibilités et les angoisses, la mort étant omniprésente à la télévision aujourd’hui. Se prononcer en faveur d’une mort non violente peut être perçu comme une tentative de reprise de contrôle sur un aspect de la vie qui échappe pourtant à tout contrôle. Le principe de mort douce est aujourd’hui associé à la dignité et à la liberté du corps. Celui-ci n’est pas malmené, humilié et défiguré. Il conserve même dans la mort, surtout dans la mort on pourrait dire, son intégrité.
C’est une perception encore une fois différente des époques antérieures. Auparavant, la bonne mort était celle qui survient dès lors que le mourant est en paix avec son créateur, conforté dans sa foi et sa morale de bon chrétien ayant reçu tous les sacrements. Le corps supplicié a d’ailleurs longtemps été glorifié, la souffrance étant l’une des voies d’accès à la félicité. Aujourd’hui, la perception du corps et de la mort est totalement différente. Le corps en décrépitude, décharné et soutenu par des machines est de l’ordre de l’indicible. Afin de conserver son essence, il doit mourir paisiblement.
Dr. Holi Rajery